Les fausses bonnes idées - N°1 - Le mode manuel

 



Fausses bonne idée n°1 :
« En manuel je maîtrise mieux mon appareil et je fais donc de meilleures photos ».


Cette phrase, je l'ai entendu un nombre incalculable de fois. Débutant en photo, j'ai commencé par y croire. Puis, à force de progresser, je me suis vite rendu compte qu'elle n'avait aucun sens.
A mon avis, elle est issue d'un certain nombre de photographes, tellement habitués à l'argentique « tout manuel », qu'ils ont du mal ou qu'ils ne veulent tout simplement pas passer le cap du numérique.
A l'époque des boîtiers « tout manuel », il fallait gérer tous les aspects de sa prise de vue en manuel : exposition, mise au point, focale, …
Les professionnels fortunés utilisaient un posemètre externe pour calculer leur exposition alors que les amateurs se contentaient bien souvent d'un vulgaire abaque long comme le bras ou de méthodes empiriques comme le f/16 en plein soleil* par exemple.
Mais au fil des années et des avancées technologiques, les boîtiers ont commencé à se doter d'outils « d'aide à la conduite » tel que le mode Programme (Mode P qui calcule automatiquement un couple ouverture/vitesse) ou les modes de priorité.
Aides plus qu'utiles pour certains ou simples gadgets pour d'autres, ces outils n'en font pas moins partie du boîtier et libre à chacun de les utiliser.
L'avènement de la photo numérique et les progrès de l'informatique ont contribué à améliorer les capacités de nos boîtiers en y intégrant des mini-ordinateurs capables de réaliser bon nombre de tâches.

* la règle générale dit que pour un sujet exposé en plein soleil, le diaphragme fermé à f/16, la vitesse à sélectionner sera l'inverse de la sensibilité du film utilisé

En préambule, je vais commencer par tordre le cou à une idée reçue relativement répandue : « seul le mode manuel me permet de régler tous les paramètres de ma prise de vue ».
C'est totalement faux. Il faut différencier les modes automatiques (Mode « vert », modes scènes, …) des modes semi-automatiques. Dans ces derniers, et à la différence des modes automatiques, tous les réglages de ma prise de vue sont disponibles (balance des blancs, couleurs, tons, zone AF, mesure de lumière, …).
Le mode P (Programme) calcul automatiquement un couple ouverture/vitesse en fonction de la mesure d'exposition (Multizone, centrale pondérée, spot, évaluative, …) et de la sensibilité réglée. En mode A ou Av (Ouverture), on fixe l'ouverture et le boîtier calcul la vitesse adaptée, toujours en fonction de la mesure de lumière et de la sensibilité. Idem pour le mode S ou Tv (Vitesse) mais cette fois-ci, c'est la vitesse qui est figée et l'ouverture qui sera calculée.
Faites le test : prenez les informations du mode P. Vous verrez que pour une même sensibilité et une même mesure de lumière vous obtiendrez le même couple en recopiant l'un ou l'autre des paramètres dans les autres modes A, S ou M, donc la même exposition.

Mais revenons à l'affirmation de ce premier article sur les fausses idées en photographie.
« En manuel je maîtrise mieux mon appareil ». En un sens, cette phrase est vraie puisqu'en manuel je maîtrise toutes les composantes de ma photo individuellement. Mais de là à affirmer que « je le maîtrise mieux », il faut tout de même nuancer.
De nombreux photographes amateurs ou professionnels pensent encore que la seule et unique façon de photographier, en tout cas la plus « pure » est d'utiliser le mode manuel. Rien n'est moins vrai car tout dépend de la maîtrise que l'on a de son appareil et des paramètres de prise de vue. En effet, l'exposition est un savant mélange de 3 paramètres (vitesse, ouverture, sensibilité) avec lesquels il faut jongler pour obtenir une image ni trop claire, ni trop sombre. Maîtriser ces trois paramètres simultanément n'est pas chose aisée pour qui n'en n'a pas l'habitude.

Certains photographes « bien intentionnés » certifie même que « pour apprendre, rien ne vaut le mode manuel ». Il me semble que c'est une énorme erreur « pédagogiquement parlant » (à moins que cela ne soit volontaire de la part de certains « formateurs » afin de se rendre indispensable …).

Mais en quoi est-ce « une énorme erreur » ?

Premièrement parce que le débutant ne maîtrise absolument pas le triangle de l'exposition. Il sera donc très difficile pour lui de faire le lien entre les différents paramètres de son appareil photo qui influencent l'exposition. A force de galérer, il finira probablement par abandonner et repassera en « tout-auto ».
Deuxièmement parce que le débutant (tout comme moi bien que je pratique beaucoup) n'est pas capable d'analyser la lumière de la scène qu'il va photographier pour régler correctement son appareil.
Le test est simple : si vous utilisez le mode manuel et qu'il vous faut 3 clichés pour obtenir une image correctement exposée, vous pouvez raisonnablement vous poser la question de l'utilité de ce mode pour votre pratique.

« Et l'indicateur d'exposition » va-t-on, me rétorquer, « il sert à quoi alors ?? ». « Très juste » répondrais-je, « mais quelle différence avec un mode P ou un mode semi-automatique alors ? ». L'utilisation du mode manuel en alignant l'indicateur d'exposition sur le 0 (ou le centre selon l'appareil) est, à mon humble avis, une belle stupidité. Le pire étant la recopie pure et simple des réglages du Mode P.
Cela n'a aucun intérêt puisque votre boitier calcul l'exposition (et donc la position de l'indicateur) de la même manière qu'en mode P, A ou S (Programme, Ouverture, Vitesse), à savoir selon la mesure d'exposition réglée. Donc, autant se mettre en mode P si on ne sait pas quel couple choisir ou dans un des deux modes semi-automatiques si on veut régler un des paramètres.
Troisièmement parce que nos boitiers nous autorisent un peu de fainéantise et qu'il vaut mieux se concentrer sur sa prise de vue que sur ses réglages.
« Un peu de fainéantise » car le processeur embarqué est, la plupart du temps, plus rapide et plus précis que nous pour proposer une exposition correcte.
De la même manière, vouloir systématiquement rester à 100 ISO pour une « qualité optimale » n'a de sens que si l'on rapporte cela à ses exigences en termes de tirage et à la taille de son capteur. Sur un tirage 10x15, il est probable que le bruit restera invisible jusqu'à 800 ISO quelle que soit la taille du capteur. De même, sur un reflex moderne, monter à 1600 ISO n'engendre pas une perte de détail démentielle si on imprime ses images dans des tailles raisonnables.
Cette exigence en terme de bruit dépend de chacun et devra être définie en fonction de son propre ressenti. Affirmer qu'il faut impérativement rester à 100 ISO n'a aucun sens et bride le débutant d'une façon désastreuse qui engendrera bon nombre de flous !


 
« Je fais donc de meilleures photos ». Rien n'est moins vrai car à réglages équivalent on obtient strictement la même photo en mode M qu'en mode P, A ou S.
De même, sur un sujet mobile, la perte de temps à régler son appareil peut tout simplement nous faire passer d'une scène photogénique à une simple photo de vacances.
Il est, à mon avis, bien plus judicieux d'apprendre à maîtriser les paramètres de l'exposition un par un en laissant le plus gros du travail au boîtier. Ca n'est que lorsqu'on maîtrisera bien ces réglages qu'on pourra se risquer à s'aventurer sur les terres mystérieuses du tout manuel.

Doit-on pour autant arrêter d'utiliser le mode manuel ? Certainement pas et tel n'est pas mon propos. Dans certains cas, le mode manuel est obligatoire :
  • en studio par exemple ou les éclairages sont réglés aux petits oignons pour créer une certaine ambiance. La vitesse est principalement liée à la synchro flash et le couple ouverture/vitesse devrait alors peu varier,
  • pour les poses longues (supérieures à 30 secondes) ou il faudra faire appel au mode Bulb qui n'est généralement accessible qu'en mode manuel,
  • pour conserver une exposition constante sur une série de photos (panoramique), bien que le verrouillage d'exposition puisse rendre ce service également,
  • quand le posemètre et les automatismes de votre appareil sont dépassés (certaines photos de nuit avec des sujets mobiles par exemple).
Ce petit article n'a pas vocation de règle ou de dogme, c'est uniquement un point de vue personnel, une tentative pour tordre le coup à des à priori qui me semble datés d'une autre époque et peuvent freiner la créativité.
Il faut vire avec son temps. Les boîtiers (l'électronique aussi bien que le capteur) sont devenus particulièrement performants et les laisser gérer une partie de la problématique de l'exposition n'est pas une honte ou une aberration. 
Pour ceux qui utilisent le mode manuel en toute circonstance et qui n'éprouvent aucune difficulté, qu'ils continuent ainsi, l'essentiel étant de réussir ses images.
Pour ceux qui utilisent le mode manuel, par habitude ou sur les conseils d'un autre photographe, et obtiennent des résultats mitigés, j'espère que ce petit article les amènera à réfléchir.

 
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